Ludo Bettens dirige l’Institut d’histoire ouvrière, économique et sociale (IHOES) depuis 2008. A la tête d’une équipe de huit passionnés, il veille à la sauvegarde et à la valorisation d’un patrimoine d’une incroyable richesse. Notamment par l’organisation d’expositions comme celle relative à la grande grève de l’Hiver 60 actuellement visible à Ougrée-Marihaye. L’occasion de découvrir un centre d’archives privées largement méconnu du grand public.
Cette interview est une version enrichie de celle publiée dans le mensuel des métallos liégeois FGTB « Rouge Métal » de février 2011.
Rouge Métal : L’IHOES est encore bien jeune, mais déjà lui-même chargé d’histoire. Comment tout a-t-il commencé ?
Ludo Bettens : Deux historiens militants, Michel Hannotte et René Deprez, se sont rendu compte que l’histoire sociale des travailleurs était quelque peu négligée dans l’historiographie traditionnelle. Ce constat se doublait de ce que les archives institutionnelles et personnelles avaient tendance à se perdre, voire à complètement disparaître alors que ce sont des mines de renseignements. D’où la fondation de l’Institut en 1979. Il a la forme d’une ASBL dont l’objectif est de conserver et de valoriser le patrimoine social en prêtant des pièces à des organisateurs d’expositions ou en en organisant de sa propre initiative. L’IHOES assure également des formations, des conférences et des publications.
RM : De quels moyens disposez-vous aujourd’hui ?
LB : Nous occupons l’ancienne maison communale de Jemeppe-sur-Meuse sur quelque 200 mètres carrés et nous louons trois entrepôts en région liégeoise pour une superficie globale de 1.400 mètres carrés. Nous avons dû les équiper de déshumidificateurs pour assurer la conservation Cela représente entre 3 kilomètres et 3 kilomètres et demi d’archives linéaires. Nous possédons des archives syndicales, d’entreprises, politiques et sociales et même personnelles. Financièrement, nous dépendons de la Communauté française en tant que centre d’archives privées et service général d’éducation permanente. Nous devons également produire un certain nombre d’analyses et d’études chaque année pour être reconnus à l’axe 3.2 (éducation permanente). La Région wallonne nous aide pour les emplois APE. Le secteur reste toutefois sous-financé. Nous avons nos propres recettes en passant des contrats de services comme l’expo de la grève de 60 ou la réalisation d’un projet sur l’histoire des maisons de jeunes.
RM : Vous possédez beaucoup de documents « papier » mais l’informatique joue également son rôle...
LB : Notre parc informatique est bien fourni pour le personnel et les visiteurs de la salle de lecture. Nous disposons également depuis quatre ans du logiciel d’inventaire Pallas qui nous permis d’encoder sur notre site web, un aperçu de nos collections et de nos fonds ainsi que de nos livres et périodiques. Nous sommes également en mesure de réaliser des inventaires au fur et à mesure de ce que nous recevons. L’objectif à terme est de proposer un portail commun aux 11 centres d’archives privées en Communauté française.
RM : Comment vous arrivent les documents ? Ce sont des dons ?
LB : Tout à fait. Les centres publics reçoivent automatiquement les archives des institutions publiques qui sont obligées de les leur fournir. Rien de tout de cela chez nous puisque nous sommes des privés. Des contacts de confiance se sont noués avec des personnes, des militants, principalement de gauche. Nous détenons également les archives de la fédération des métallos FGTB Liège-Luxembourg. Nous sommes indépendants et pluralistes, ce qui nous permet de travailler en toute objectivité sans devoir rendre des comptes à l’une ou l’autre mouvance. De plus, pour certains, il aurait été hors de question de confier des pièces à un centre d’archives inféodé à un parti. A l’inverse, l’indépendance a son prix. Nos locaux pourraient être mieux adaptés même si la Ville de Seraing nous les laisse occuper pour un loyer raisonnable. Par contre, la location des entrepôts nous coûte cher.

RM : De quelle équipe disposez-vous ?
LB : Quand je suis arrivé à l’IHOES en 2005, nous n’étions que quatre. Aujourd’hui, nous sommes le double, mais quatre personnes seulement se consacrent à l’archivage en tant que tel. C’est amplement insuffisant par rapport à nos besoins. Ceci étant dit, le groupe est passionné et enthousiaste.

RM : L’expo grève de 60 va bientôt s’achever. Quels sont les projets de l’IHOES en 2011 ?
LB : Nous allons d’abord poursuivre l’inventaire de plusieurs fonds (Syndicat du Livre, Association charbonnière,…). Il en sera de même pour le recensement des périodiques. L’an dernier, nous avions notamment La Wallonie, le Monde du Travail, Syndicats. Cette année, ce sera Le Peuple. C’est un travail de longue haleine car cela suppose un dépoussiérage et un reconditionnement. La Communauté française a également mis sur pied un programme de numérisation du patrimoine. Nous allons ainsi numériser une partie de nos affiches et nos livres rares. Nous avons aussi un projet en cours avec la Maison médicale de Seraing et les jeunes de l’action en milieu ouvert qui devrait déboucher sur une réédition du rallye historique qui avait été un succès l’an dernier. Nous préparons encore une double exposition autour des 50 ans de la clinique André Renard et les 25 ans de la Centrale des Soins à Domicile. Nous continuerons aussi à gérer la plate-forme de mémoire orale de la Communauté française lancée en 2007 en collectant des témoignages parlés et audiovisuels. Des fiches techniques sont mises en ligne pour l’approche de la mémoire orale. Il est également question de pouvoir écouter en ligne des extraits de témoignages.

RM : Quels sont vos rapports avec le monde de l’enseignement ?
LB : En tant que tels, ils ne sont pas très développés. Lors des expositions comme celle relative à la grève de 60 à Ougrée ou l’expo Ferrer à Seraing, il y a des visites guidées à destination des écoles. Pour ce qui est de l’enseignement supérieur, nous accueillons des étudiants pour des travaux de recherche sur le POB par exemple ou des mémoires. Sur notre site internet, nous proposons aussi des sujets de mémoire qui peuvent être réalisés à partir de nos collections. Bon an mal an, deux mémoires étudiants sont publiés chaque année au départ de notre centre. La proximité de la Haute école de la Province de Liège n’y est évidemment pas étrangère. Il arrive encore que l’IHOES soit lui-même le sujet d’un travail de présentation par des étudiants. A cet égard, la qualité de notre site internet et de notre newsletter est un gage de visibilité et de crédibilité.
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