La nouvelle est tombée le 16 janvier. La direction d’ArcelorMittal a décidé de fermer l’aciérie électrique et le train à billettes de Gandrange en Moselle (France). Ce sont 600 emplois qui sont menacés, 1.500 si l’on prend cotraitants et sous-traitants en compte. Lakshmi Mittal a justifié sa décision par un manque de rentabilité de l’usine qui a accusé de lourdes pertes ces deux dernières années. Il a également insisté sur l’absence de licenciements : les travailleurs de Gandrange pourront partir en préretraite ou être reclassés sur d’autres sites du sidérurgiste, notamment au Luxembourg.
Guidé par des impératifs financiers, le grand chef indien ne tient évidemment pas compte du tissu industriel d’une région quasiment rayée de la carte par un trousseau de clés glissées sous les paillassons du mépris capitaliste. Balayées aussi les préoccupations sociales et humaines qui entourent une fermeture d’usine. Bon prince, Mittal a toutefois laissé quelques semaines au personnel pour tenter de le convaincre, plan alternatif à l’appui, que fermer Gandrange serait une erreur. C’est dans ce climat qui creuse encore un peu plus les sillons de désespoir sur les visages lorrains que ce samedi 9 février a été décrété journée de mobilisation à Gandrange, Amnéville et environs. C’est le quatrième rassemblement significatif en un mois.
Au portier Ouest
Le soleil est du combat au portier ouest de l’aciérie. Lui au moins, il ne s’est pas laissé éblouir par les promesses du président Sarkozy, capitaine d’un bateau ivre qui fait chanter les sirènes d’un repreneur ou d’une aide de l’Etat. Deux heures avant le meeting de l’intersyndicale CFE-CGC-CFDT-CGT, Jacky et quelques camarades de la CGT cassent la croûte devant le podium, cerné de banderoles, qui abritera les interventions des collègues ouvriers et employés. « Au début janvier, la direction a vu les syndicats séparément, nous en derniers, pour leur annoncer la mauvaise nouvelle. La communication a été défaillante tout comme la gestion et les investissements au cours des dernières années. L’aciérie est rentable, c’est une évidence!»
Il est par contre tout aussi évident que l’usine ne sera pas à l’arrêt cet après-midi même si une dizaine d’ouvriers quitteront leur poste pour rejoindre le meeting. La mobilisation a ses limites dans l’Hexagone où le taux de syndicalisation des travailleurs est parmi les plus faibles du continent. Les mouvements syndicaux et politiques dont les représentants affluent qui en voiture, qui en car, qui à pied, qui en cortège, viennent de France et d’un peu partout en Europe. Les drapeaux orange de la CFDT sont indéniablement les plus nombreux.
La force du travail est symbolisée par toutes les couches de la population : actifs ou futurs inactifs, seuls ou en famille, enfants, jeunes, retraités ou préretraités. Les générations semblent avoir signé un pacte même parmi les personnalités politiques. L’arrivée surprise de la figure emblématique de Lutte Ouvrière, Arlette Laguiller, ne voile pas le regard haute résolution de la jeune députée PS de Moselle, Aurélie Filippetti. Le blog de cette dernière (http://aureliefilippetti.free.fr/) donne régulièrement des informations sur le devenir de Gandrange. La jeune femme multiplie les interventions et interpellations au gouvernement à l’Assemblée nationale où elle est la porte-parole du parti de Ségolène Royal. Ce samedi, en pleine campagne pour les élections municipales de mars, les élus locaux et régionaux ont ceint l’écharpe tricolore d’une France qui se vide chaque jour un peu plus de ses industries. Le bleu est nuit, le rouge de la colère est aux joues, le blanc est gris.
Lézarde dans le mur de la résistance
« L’emploi industriel ne représente plus que 16% de la main-d’œuvre en France », rappelle Pierre Sutter pour la CGC, le syndicat des cadres. « Or, la demande mondiale d’acier n’a jamais été aussi forte. 800 millions à un milliard de tonnes sont produites chaque année par Mittal. Il y a une place pour nous dans ce chiffre. Ce n’est pas à l’Etat, au contribuable ni à un repreneur à investir à Gandrange. Notre site est potentiellement rentable. Nous nous opposerons à toute solution en dehors d’ArcelorMittal ».
Edouard Martin de la CFDT ne croit pas davantage à la piste d’une reprise : « En 1999, nous avons été vendus pour le franc symbolique à Mittal. Que ce serait-il passé si son OPA sur Arcelor avait échoué ? Quel serait notre avenir aujourd’hui ? Il n’y aura de reprise que si Mittal le décide. S’il décide de ne pas vendre, il ne vendra pas et on ne pourra pas le forcer à vendre. De plus, cela ne pourrait être qu’une vente partielle puisque le patron veut conserver la division rentable de notre site. Peut-on imaginer une reprise partielle ? La solution viendra de l’intérieur. Oui, Gandrange vivra , avec vous et dans le groupe ArcelorMittal qui réalise 8 milliards de bénéfice ». Et de conclure en évoquant le plan alternatif dont les traits doivent se préciser à la mi-mars en collaboration avec un cabinet d’experts indépendants. L’échéance initiale de la fin avril a été rabotée.
La CGT a choisi de laisser la jeunesse s’exprimer en la personne de Sébastien, un jeune délégué. Le discours tranche avec les précédents. Celui d’un travailleur récemment engagé dans le mouvement et dans l’usine. Il veut encore y croire dans son enthousiaste trentaine d’années. Réputé pourtant le plus à gauche, le syndicat ne veut exclure aucune hypothèse et surtout pas celle de la reprise. Et tant pis si ça doit donner raison à Lakshmi Mittal. Et tant pis si ça fait remonter Nicolas Sarkozy dans les sondages.
Le mur de la résistance se lézarde-t-il déjà ? Sur le site de l’intersyndicale, les dissensions se sont confirmées au lendemain de la manifestation. La CGT semble avoir pris ses distances avec la CFE-CGC et la CFDT . Ou est-ce le contraire ? Question d’appréciation sans doute. Il n’empêche. C’est tout bénéfice pour le patron. Comme s’il n’était pas encore assez riche...
L’avenir de Gandrange passe par 30 à 40 millions d’euros en modernisation d’outils et dans la formation des jeunes travailleurs embauchés au cours des trois dernières années. Pas par des tensions entre représentants des travailleurs. Mais que pèse encore une « petite » aciérie française dans le concert d’une mondialisation outrancière ? Peu sans doute mais l’on disait cela aussi de la phase à chaud liégeoise désormais revigorée. Il ne reste que peu de temps à Gandrange pour éviter le requiem. On ose croire que les soins qui s’imposent seront intensifs. Pas palliatifs.