« Au-delà des personnes, c’est le programme politique qui doit nous interpeller »
En cette veille de 1er mai et d’élections fédérales, nous avons réuni le président des métallos de la FGTB Liège-Luxembourg, Francis Gomez et le ministre régional PS de l’Economie et de l’Emploi, Jean-Claude Marcourt.
Rouge Métal : Quelle signification donner au 1er mai 2007 ?
Francis Gomez : « Depuis dix ans, nous voulons donner un caractère social au 1er mai en organisant des festivités sur la place Saint-Paul, ceci en collaboration avec plusieurs associations. Et depuis trois ans, nous délivrons un message aux hommes politiques. Il en sera encore de même cette fois, à l’approche des élections législatives du 10 juin. Au Nord du pays, certains veulent encore porter atteinte à la Sécurité sociale. Nous en souhaitons le maintien intégral, sinon ce sera l’éclatement de l’Etat fédéral. Il y a aussi des velléités de vouloir régionaliser l’emploi. Personnellement, j’ai quelques doutes sur le fonctionnement du ministère fédéral de l’Emploi dans sa forme actuelle. Le Nord et le Sud ont des particularités qui ne devraient pas empêcher certaines adaptations.
Jean-Claude Marcourt : Les métallos FGTB se sont voulus résolument modernes en s’ouvrant à des publics partageant des valeurs de gauche, sans toutefois adhérer spontanément au 1er mai. A quelques centaines de mètres de la place Saint-Paul, le PS organisera sa grande fête également. Le président Di Rupo et moi-même viendrons sur la place Saint-Paul dans le courant de l’après-midi. Il n’y a pas de télescopages, mais il est précieux que des thèmes de gauche coexistent sur la place de Liège face à la lepénisation des esprits qui n’est pas seulement présente en France. Il est indispensable de s’attaquer aux causes et pas seulement aux conséquences de cette tendance. Si on ne vise que les conséquences, on s’expose à subir des causes encore plus graves. La vertu symbolique du 1er mai ne doit pas être ignorée. Elle véhicule des valeurs de gauche. Ces dernières sont intangibles même si les moyens pour atteindre les objectifs ont évolué. La population ne comprend pas le temps que l’on passe à réformer l’institutionnel. Cela ne sert trop souvent, au moins dans le Nord du pays, qu’à attraper des voix plutôt qu’à améliorer le quotidien de tout un chacun. La Sécurité sociale est une création des travailleurs et la fiscalité sur les bas revenus est trop élevée.
Rouge Métal : Que pensez-vous des candidats d’ouverture sur les listes, notamment sur celle du PS ?
FG : Rien ne me choque même s’il y a des surprises sur la liste PS comme la présence de François Martou du MOC qui fut longtemps un adversaire syndical, car proche de la CSC. Cela correspond peut-être à la réalité selon laquelle des chrétiens votent socialiste. Par contre, à Liège, je ne peux que me réjouir de la candidature d’Annie Massay qui fut longtemps une militante syndicale. Au-delà des personnes, c’est le programme du PS qui doit nous interpeller. On peut à cet égard se poser des questions comme à propos du pouvoir d’achat des travailleurs. Je ne pense pas qu’il doive se régler par une adaptation de la fiscalité.
JCM : Notre vocation est de rassembler le peuple de gauche. Nous sommes le seul parti au Parlement qui se revendique de gauche. Nos liens sont évidemment indéfectibles avec la FGTB et les Mutualités socialistes mais nous devons aller au-delà de ce choix d’affiliation. La démocratie n’a rien à gagner avec des personnes à qui l’on injecte intensivement des notions de programme et d’idéologie. En ce qui concerne, François Martou, il adhère au PS, parce qu’il pense comme nous que nous sommes bien le seul parti progressiste. Et dans ce cas de figure, les travailleurs d’obédience catholique, avec des idées de gauche, sont les bienvenus chez nous. Par ailleurs, je ne dis pas que le pouvoir d’achat des bas revenus doit être relevé par la fiscalité. Simplement, le taux de prélèvement obligatoire sur les bas revenus est trop élevé. Telle est ma vision d’une fiscalité équitable. Celui paie des impôts alors qu’il ne touche que 900 euros par mois est dans une situation inéquitable.
Rouge Métal : Que retenir de la visite à Liège de Lakshmi Mittal voici deux mois ? Son arrivée a-t-elle changé les relations sociales ?
JCM : Mittal est resté à Liège beaucoup plus longtemps que prévu. C’est un vrai industriel. Il a lui-même décidé d’aller visiter Chertal. C’est un signe. Qui dit quoi ? Nous verrons bien. Il ne faut pas donner de faux espoirs aux gens même s’il est clair que la situation a évolué depuis l’annonce de la fermeture du chaud en 2003.
FG : Le dialogue social est renoué, et ce, à la demande formelle de Lakshmi Mittal. La tripartite associant la Région wallonne à la négociation n’est donc plus nécessaire. Le pouvoir politique constitue un appui réel, mais il n’est pas nécessaire de brûler toutes ses cartouches d’un seul coup. Liège retrouve une certaine existence même s’il est clair que l’épuration menée par les Français d’Arcelor voici quelques années n’a pas encore cessé ses effets. Nous manquons toujours de responsables wallons. Dès le lendemain des accords de 2003 sur la fermeture et le redéploiement, nous avons demandé le maintien des hauts-fourneaux. J’ai entendu dire que des hauts-fourneaux de Bosnie appartenant à Mittal étaient remis en activité. Je ne vois pas pourquoi Liège ferait moins bien qu’eux.
JCM : Il est primordial que le dialogue social ait été rétabli, ce qui ne veut pas dire que la Région wallonne est hors jeu. Nous restons actionnaires du sidérurgiste sans qu’une vente de nos parts soit pour l’heure un sujet de réflexion. Le retour aux réunions bipartites démontre bien que le climat social se veut aujourd’hui plus serein.
FG : Dès qu’il y a dialogue social et que la situation de la sidérurgie se stabilise, nous ne sommes pas fondamentalement opposés à une utilisation des fonds qui pourraient être récoltés par une cession. La participation régionale a été utile en son temps et la Région a posé un geste fort en ne cédant pas ces parts dans le cadre de l’OPA lancée par Mittal sur Arcelor. Toutefois, nous ne pouvons pas être inattentifs à dégager des moyens spécialement pour l’emploi des jeunes. Je rappelle également qu’en Flandre, Sidmar est beaucoup moins entendu qu’avant. Parce que le gouvernement flamand n’a plus aucune part dans le groupe sidérurgique ? C’est une piste, sans nul doute.
Rouge Métal : Parler redéploiement, c’est parler de l’avenir, donc de l’emploi des jeunes…
JCM : Il subsiste un cruel déficit dans les filières techniques et scientifiques. Il faut savoir que 94% des jeunes qui ont suivi un enseignement professionnel décrochent un emploi dès la sortie de l’école, si pas avant ! Il faut en finir avec toute culpabilisation à ce niveau. Nous allons prochainement mener une expérience de coaching des jeunes dans la région de Tournai et de Mouscron. Il s’agira d’accompagner les jeunes qui débarquent au Forem. Des emplois existent. Le taux d’embauche n’a jamais été aussi fort dans tous les secteurs, y compris dans les fabrications métalliques qui, pour rappel, engagent de nouveau. Alors oui, il y a le tiers secteur qui est en plein boom, comme la logistique à Liège. Mais la sidérurgie est loin d’être enterrée. Attention : je ne dis pas comme certains qu’il y a des jobs pour tous, ou que je vais créer 200.000 emplois. Mais il existe des raisons d’espérer et, surtout, de bouger.
Rouge Métal : … ou de faire bouger les chômeurs, en les contrôlant par exemple ?
JCM : Le contrôle des chômeurs est une mauvaise chose. Il faut prendre le problème à la base, créer des interactions plus fortes entre l’entreprise et l’école, les partenaires sociaux et le monde politique, pour œuvrer dans le même sens. L’emploi remonte, continuons.
Rouge Métal : qu’en est-il de l’emploi étranger ?
JCM : Il reste marginal en Wallonie même s’il existe dans certains métiers en pénurie. L’Europe centrale fournit de la main-d’œuvre, c’est certain. Que l’on arrête cependant de croire que cers gens de Pologne ou d’ailleurs viennent voler du travail aux Belges. C’est, on ne peut plus faux. Il n’y a pas de concurrence entre les travailleurs.
FG : Il faut effectivement être très clair à cet égard pour ne pas créer un climat d’ostracisme à l’encontre des étrangers et alimenter le terreau de l’extrême droite. Je suis bien placé pour en parler, car je suis ce qu’on appelle un « un enfant de l’immigration » . Quand les Espagnols ou les Italiens ont débarqué en Belgique, c’était parce que plus personne ne voulait aller se tuer dans les mines. Arrêtons les clichés, les préjugés.
JCM : Ne jamais oublier que l’immigration amène de la multiculturalité, et ça, c’est un cadeau extraordinaire.
Rouge Métal : la Wallonie souffre-t-elle encore d’un déficit d’image ?
JCM : Il n’y a pas plus de grèves en Wallonie qu’ailleurs, bien au contraire. Un investisseur étranger vient de choisir la Wallonie après avoir étudié les statistiques des grèves en Europe. La Wallonie n’est pas le plus mauvais élève, loin de là. J’ai toujours été favorable à la liberté des travailleurs de se croiser les bras mais il ne faut pas se tromper de destinataire. Quand les Tec font grève, qui en pâtit ? Les petites gens, ceux qui ne savent pas se déplacer autrement. En termes d’image, l’effort doit être collectif. Mais jamais je remettrais en cause le droit de grève qui est, à mes yeux, immuable. Il doit simplement aller de pair avec une certaine responsabilité. Je le redis donc : aucune paix sociale n’est à acheter.
FG : L’impact des grèves d’aujourd’hui a sensiblement changé. Il est souvent disproportionné en raison de l’évolution des flux de production. Arrêtez le travail une heure, et c’est tout le mécanisme du « just in time » qui se dérègle. L’organisation du travail a donc changé. Mais la politique des relations sociales ne s’y est pas adaptée, que ce soit dans le privé ou dans le public. Dans 95% des cas, les conflits au TEC surgissent après des atteintes à l’intégrité physique des chauffeurs. À force de parler de gréviculteurs, le ministre des Transports, André Antoine (CDH), court le risque de voir des dizaines de cars de manifestants à sa porte.
Plus généralement, il n’y a pas plus de grèves en Wallonie qu’ailleurs. Des actions doivent être menées sur la manière de s’exprimer à l’extérieur. Et pour ça, les syndicats n’ont besoin de personne, ils peuvent communiquer aussi efficacement que n’importe qui. Cela dit, l’organisation syndicale doit conserver son rôle critique.
JCM : C’est toute la problématique de la nouvelle donne économique : les
directions sont aujourd’hui à l’étranger, plus en Wallonie. Ils cernent donc moins le terrain. Sans oublier l’influence des médias : quand AGC Automotive est parti au combat la première fois, on ne voyait que l’image du brasero dans toute la presse. « On » en a fait un conflit dur. Aujourd’hui, alors que l’entreprise vit de nouvelles heures difficiles, les syndicats ont choisi le dialogue. Cela n’intéresse plus les médias. L’arbre qui tombe fait toujours plus de bruit que l’herbe qui pousse.
Rouge Métal : M. le ministre, d’aucuns vous voient ministre-président après le 10 juin ?
JCM : Je suis très bien où je suis. Il n’y a pas de tâche supérieure à celle de redévelopper et d’assurer l’avenir de l’économie wallonne…