L’influence des progiciels de gestion intégrée sur Le vécu des travailleurs
Synthèse du colloque organisé par la Fondation André Renard – août 2002
Jean-Marc Vandenbergh
Fondation André Renard
jmvandenbergh@far.be
Les entreprises investissent des sommes considérables dans les technologies de l’information. En particulier, de nombreuses organisations ont acquis et implanté, en remplacement, le plus souvent, de systèmes informatiques maison, des systèmes d’information qui intègrent tous les secteurs de l’entreprise : les ERP (Enterprise Resource Planning)[1] ou progiciels de gestion intégrée. Ces progiciels permettent d’intégrer toutes les grandes fonctions de l’entreprise (production, ressources humaines, finances, achat, stocks, etc.) et de les faire communiquer en temps réel.
L’introduction de cette technologie a souvent fait couler beaucoup d’encre au sein des entreprises concernées. Tantôt récriés, tantôt adulés, ces progiciels ont laissé peu de travailleurs indifférents.
Bien que ce mouvement ait été initié au début des années quatre-vingt-dix, l’engouement en faveur de ces logiciels s’est surtout marqué juste avant le passage à l’an 2000. C’est ce qui explique que la littérature relative à cette technologie de l’information soit assez récente (dès 1999) et porte principalement sur les phases d’implantation de cette nouvelle génération de logiciels.
La présente étude, quant à elle, s’intéresse au vécu des travailleurs et ce, non pas pendant la période d’introduction de la nouvelle technologie mais une fois cette technologie « stabilisée », c’est-à- dire après un temps suffisant pour que les apprentissages et les ajustements inhérents à un tel changement soient réalisés. Il s’agit, en d’autres termes, d’approcher la réalité par un questionnement du vécu effectif des travailleurs afin de dépasser les idées reçues, les discours des consultants et des managers ou encore les habituelles ritournelles véhiculées à propos de l’utilisation d’un système ERP. En particulier, nous nous posons les questions suivantes : Comment les travailleurs vivent-ils leur travail avec l’ERP et surtout, comment l’ont-il perçu ? Comment l’information gérée par l’ERP modifie-t-elle le travail ? Comment les utilisateurs des ERP perçoivent-ils l’évolution du contrôle et quels sont les changements en terme de pouvoir dans l’organisation suscités par les ERP ? Comment le vécu des travailleurs est-il influencé par l’utilisation d’un progiciel de gestion intégrée au niveau du contenu du travail et de son contexte ?
5.1. Le contenu du travail
5.1.1. La nature du travail
L’utilisation d’un progiciel de gestion intégrée modifie la façon de travailler de nombreux utilisateurs d’ERP. Certaines tâches ont disparu telles que les encodages multiples ou des opérations désormais automatisées. Selon les travailleurs, il semble que la nature du travail soit d’autant plus influencée par l’ERP que son utilisation en est intensive. Cependant, des utilisateurs plus légers peuvent être aussi touchés de façon significative, par exemple si les données qu’ils traitent sont capitales pour leur travail. Les utilisateurs qui alimentent le système semblent plus influencés par le système que ceux qui ne l’utilisent qu’en consultation.
Par ailleurs, certains travailleurs parlent d’un enrichissement de leur fonction et d’un accroissement de leurs responsabilités (voir section 5.1.2.). Ainsi, l’organisation du travail devient « processuelle » plutôt que « fonctionnelle ». Il en découle l’acquisition d’une autonomie et d’une responsabilité de A à Z sur un ensemble de tâches cohérentes pour les travailleurs, là où ils ne réalisaient avant que certaines étapes du processus. Par exemple, plutôt que d’encoder des bordereaux d’expédition pour une usine, une employée va avoir la responsabilité de toute l’expédition de certaines catégories de produits.
Souvent les travailleurs mettent en évidence un affinage de la définition de leurs tâches : puisque les responsabilités sont et doivent être identifiables par l’ERP (voir section 5.1.2.), les limites des fonctions des uns et des autres doivent être éclaircies. La définition des autorisations d’accès à telle ou telle partie de l’ERP impose aussi de définir de façon précise ce que chacun fait et peut faire. Si cependant une tâche n’est pas affectée à une fonction, alors l’opération n’est pas effectuée sur le système ERP qui a la caractéristique de ne pas accepter d’aller plus loin tant que toutes les tâches requises par les procédures n’ont pas été réalisées. De ce fait, la-dite tâche est très rapidement confiée à un travailleur qui en aura alors la responsabilité ainsi que l’accès au système pour sa réalisation.
Finalement, tout utilisateur est conduit, au-delà de son travail à proprement parlé, à jouer un rôle de contrôle sur ses collègues mais aussi sur soi-même (voir section 5.3.1.).
5.1.2. Les responsabilités
La façon dont les travailleurs perçoivent leurs responsabilités dans le travail est fortement influencée par les progiciels de gestion intégrée. Trois facteurs accroissent de façon considérable la pression qui s’exerce sur l’utilisateur de progiciels intégrés dans ses responsabilités. Il s’agit de la recherche de transparence, de l’enrichissement des tâches et de l’intégration.
La recherche de transparence
Grâce à la puissance et à l’alimentation en temps réel des bases de données, l’ERP permet une traçabilité totale de la majorité des informations de l’entreprise. L’information est telle dans le progiciel qu’on peut savoir qui a fait quoi à tout moment.
Du côté du travailleur, à quelque niveau que ce soit dans l’échelle hiérarchique, l’ERP peut être vu comme une épée de Damoclès qui exerce une pression sur son utilisateur et exige de lui une rigueur sans faille : Ses faiblesses ne pourront plus être cachées dans les zones d’ombre de l’information de l’entreprise ! On se met à nu devant le logiciel et devant les autres : toute erreur, manque ou retard pourra désormais être identifié avec précision.
L’enrichissement des tâches
Comme nous l’avons observé par ailleurs, l’introduction de l’ERP conduit pour certains à un enrichissement des tâches qui va souvent de pair avec une responsabilisation et une autonomisation accrue. Le travailleur doit ainsi, par exemple, réaliser l’intégralité des tâches sur d’une gamme de produits (les achats, le planning, l’expédition, etc.) plutôt que de se concentrer sur une seule étape pour une série de gammes. Cette gamme de produits devient « son » affaire et il dispose pour ce faire d’une grande autonomie et d’une responsabilité importante. Cette indépendance durera tant qu’il réalisera son travail comme il faut. « Personne ne vous contrôle, personne ne vous corrige, on a tout sur ses épaules » souligne un travailleur interviewé.
L’intégration
Les ERP sont des logiciels de gestion intégrée. Du fait même de leur intégration le travailleur ressent une dépendance envers ses collègues. En effet, l’erreur, le manque ou le retard de l’un a inévitablement des conséquences directes sur le travail d’autres. Ainsi, les travailleurs sont enchevêtrés dans un réseau de relations professionnelles d’interdépendance mais aussi de responsabilité réciproque.
En fait, le travailleur assume, en cas de travail mal fait, une double responsabilité. Tout d’abord il porte préjudice aux utilisateurs en aval dans le flux de gestion mais pas seulement. Ensuite, en cas d’erreur, c’est rarement la personne qui fait l’erreur qui la corrige. Or, les ERP sont d’une telle rigidité que la correction d’informations qui les ont alimenté est souvent difficile et prend beaucoup de temps (ça peut se compter en journées !). Une erreur est donc non seulement susceptible de poser des problèmes aux collègues mais peut également générer un important surcroît de travail à un autre travailleur.
En conclusion
Avec l’arrivée des ERP, les travailleurs ont certainement senti un accroissement de leurs responsabilités. Suite à l’implantation d’un ERP dans l’entreprise, le travailleur utilisateur d’ERP jouira d’une plus grande autonomie/responsabilité dans la réalisation de ses tâches. Ceci tout en sachant que ses erreurs, manques et retards seront (presque) toujours visibles et que, en cas de problème, il sera tenu pour responsable. Il assume désormais une responsabilité qui se porte vis-à-vis de ses supérieurs hiérarchiques mais aussi vis-à-vis de ses collègues.
5.1.3. La charge de travail
Lorsque l’entreprise est en vitesse de croisière, période de référence pour la présente étude, les utilisateurs du progiciel observent généralement une double tendance quant à leur charge du travail.
D’une part, beaucoup de choses qui étaient faites manuellement sont désormais automatisées, elles font l’objet d’un encodage unique et la recherche d’informations est fortement allégée (dans bien des cas, il ne faut plus se déplacer physiquement). Dans ce contexte, certains travailleurs estiment avoir récupéré des tâches réalisées auparavant par d’autres tandis que d’autres affectent le temps gagné sur la réalisation de certaines tâches accessoires (recherche d’informations, encodages, etc.) à leur activité principale (achat, production, etc.).
D’autre part, le système étant plus performant, on en demande davantage à ses utilisateurs. Certaines données sont désormais demandées, par l’utilisateur lui-même, par ses collègues ou par ses supérieurs hiérarchiques, alors qu’elles ne l’étaient pas précédemment.
5.2. Le contexte du travail
5.2.1. Le stress au travail
La perception générale de stress liée à l’ERP est fréquente. Elle semble néanmoins dépendre de la personnalité de l’utilisateur et de l’intensité de son utilisation. En outre, il est assez difficile de scinder le stress lié à l’ERP de celui qui pré-existait dans la plupart des entreprises mais aussi de celui lié aux évolutions de la fonction exercée par le travailleur ou à des changements d’organisation. Comme nous l’avons déjà évoqué, l’enrichissement des tâches parfois rencontré en parallèle à l’implantation de l’ERP va souvent de pair avec une autonomisation et une responsabilisation accrue du travailleur, qui sont parfois ressentis comme facteurs de stress.
A côté de ces influences générales, nous avons identifié certains facteurs de stress spécifiques à l’ERP. Quatre sources sont observées : le travail sur l’ERP lui-même, l’environnement, les collègues et les dysfonctionnements de l’ERP.
Le travail sur l’ERP lui-même
L’ERP est un système qui ne supporte pas les erreurs et donc requiert une attention permanente. Ensuite, les erreurs sont fort préjudiciables et longues à corriger. De plus, le travailleur dispose rarement des accès nécessaires à la correction de ses erreurs et son responsable hiérarchique est donc souvent mis au courant de celles-ci. La peur de l’erreur approche chez certains de la psychose. De telles inquiétudes peuvent être renforcées par une mauvaise maîtrise de l’ERP. Pourtant, en ce qui concerne les responsables hiérarchiques, plusieurs travailleurs rencontrés, provenant d’entreprises différentes, ont noté une certaine tolérance des responsables vis-à-vis des erreurs.
Un autre facteur observé est la réduction de l’horizon temporel au sein de l’entreprise. Il n’est donc plus question de reporter au lendemain certaines tâches. Le caractère d’urgence du travail, qui est source de stress, semble s’être encore accentué avec l’arrivée de l’ERP : « on n’a pas beaucoup de répit ».
L’environnement
Puisque le travail sur l’ERP demande une concentration importante, si l’espace occupé par l’utilisateur du progiciel n’est pas calme, ceci peut ajouter à la tension du travailleur. Ainsi, certains avancent qu’il n’est pas toujours facile de conserver longtemps sa concentration dans un bureau- paysager. En effet, la promiscuité avec les collègues (conversations, téléphone, etc.) peut être un facteur permanent de distraction. Il en est de même si le bureau occupé par l’utilisateur fait l’objet d’un passage incessant de travailleurs.
Les collègues
Les utilisateurs perturbent le travail des autres qui travaillent en aval sur l’ERP lorsqu’ils ne fonctionnent pas comme le progiciel l’exige (retards, manques ou erreurs). Ils sont ainsi ressentis comme source de stress par leurs propres collègues qui ne peuvent travailler « normalement » à cause de ces perturbations.
A contrario, les travailleurs sont une source de stress lorsqu’ils exercent des pressions pour que leurs collègues réalisent le travail sur l’ERP les concernant plus vite (chacun étant toujours pris par des délais courts et ayant ses propres priorités) et sans erreur. Ils ne se priveront pas de contacter le travailleur « indiscipliné » pour lui faire remarquer ses écarts.
Les dysfonctionnements de l’ERP
Finalement, les pannes et lenteurs de l’ERP, bien que ponctuelles, sont toujours des facteurs de stress important. Le travail s’accumule et les délais se raccourcissent alors que le système ne permet pas à son utilisateur de faire son travail. Ceci est d’autant plus vrai à certaines périodes telles que les fins de mois qui représentent des échéances importantes.
5.2.2. Les relations entre travailleurs
La coopération
Les travailleurs soulignent dans certains cas la création de « coalitions face à la machine ». Elles consistent en une entraide interpersonnelle informelle visant à trouver des solutions aux difficultés liées à l’utilisation de l’ERP. Ce soutien mutuel sert également à compenser le manque réel de formation.
Dans les entreprises où l’implantation a été la plus difficile, certains travailleurs ont même parlé de création « d’un esprit de corps » : face à des difficultés majeures, certains travailleurs se sont serré les coudes pour sauter l’obstacle.
La gestion des conflits
S’il était possible auparavant de se rejeter les responsabilités, désormais, la délimitation précise des responsabilités des travailleurs et la transparence générée par la profusion d’informations ont éclairci les zones floues de dilution des responsabilités.
La plupart des difficultés sont résolues directement entre personnes concernées, majoritairement de façon informelle (parfois par des discussions et des mises au point, parfois par des éclats et des coups de gueule). Ceci semble rendu plus simple par l’identification plus aisée des responsabilités. L’ERP impose, en effet, aux travailleurs de trouver un terrain d’entente et de solutionner les problèmes car sans cela, le progiciel refuse d’aller plus loin dans les procédures. Les responsables hiérarchiques ne semblent jouer qu’un rôle limité dans ce processus, quand les ajustements directs ne fonctionnent pas ou lorsque les responsabilités ne sont pas clairement définies (rôle d’arbitre).
5.3. L’organisation du travail et gestion des ressources humaines
5.3.1. Les mécanismes de contrôle
Dans le fonctionnement de l’entreprise avec un progiciel de gestion intégrée, les travailleurs interrogés notent une évolution substantielle au niveau des mécanismes de contrôle. En effet, souvent, ce n’est plus le responsable hiérarchique mais le propre collègue du travailleur, au sein du service ou d’un autre service, qui va jouer le rôle de contrôleur. Il interviendra en cas d’erreur, de manque ou de retard.
Ce comportement est lié, d’une part, à la transparence apportée par l’ERP qui permet l’identification précise du responsable d’un dysfonctionnement et, d’autre part, au caractère intégré de l’ERP qui lie intimement tout acte (absence d’acte) d’un travailleur au travail de ses collègues : « Si tu ne fais pas bien ton travail, je ne sais pas faire le mien ». Et si ce travailleur ne fait pas son travail, il en est lui-même responsable vis- à-vis du collègue en aval et ainsi de suite. De même, aucun travailleur ne souhaite voir ses « indicateurs de performances » se dégrader du fait d’un autre. On observe en conséquence que le travailleur va vérifier les informations que son collègue lui transmet et va contrôler systématiquement les données qu’il insère lui-même dans le système.
S’instaure ainsi un système dans lequel le travailleur lui-même s’auto- contrôle et contrôle ses collègues. Le responsable hiérarchique n’a plus qu’à assurer un contrôle général de son service et des problèmes récurrents ou insolubles par ses collaborateurs. De toute façon, il pourra in fine disposer d’une synthèse détaillée du travail de ses collaborateurs.
5.3.2. La localisation du pouvoir
Comme lors de tout processus de changement, l’arrivée d’un ERP modifie les délicats équilibres du pouvoir dans l’entreprise. Certains travailleurs en gagnent, d’autres en perdent.
Des travailleurs font apparaître qu’il y a régulièrement une prise de pouvoir de ceux qui maîtrisent l’ERP par rapport à ceux qui ne le maîtrisent pas, cette évolution est perçue au moins dans deux entreprises étudiées. La maîtrise des compétences liées à l’ERP confère indéniablement l’accès à une intarissable source d’informations. De plus, celles-ci seront parfois diffusées par les « maîtres » sous forme de synthèses-papier conviviales aux utilisateurs béotiens de l’ERP. De la même façon, certains rédacteurs officieux de procédures retirent un certain pouvoir et une certaine valorisation personnelle dans ce travail.
Finalement, certaines fonctions se prêtent particulièrement bien à la concentration des informations essentielles à la vie de l’entreprise, il s’agit des fonctions liées à la logistique. Leurs utilisateurs deviennent ainsi des nœuds de concentration de l’information, parfois de pouvoir.
5.3.3. Les compétences
Certains travailleurs ont vu la nature de leur fonction évoluer. De ce fait, ils ont dû acquérir de nouvelles compétences spécifiques aux tâches qu’ils réalisent désormais. C’est le cas par exemple, d’un encodeur de documents destinés à l’expédition des produits finis qui devient contrôleur et gestionnaire des dossiers d’expédition.
Compétences spécifiques à l’ERP
En ce qui concerne l’ERP à proprement parler, on trouve une variabilité importante dans la perception de ce qu’exige l’ERP. Certains estiment que l’ERP requiert peu de compétences tandis que d’autres pensent qu’il en faut beaucoup.
Toutefois, on peut dire, de manière générale, que l’utilisation d’un ERP à un poste de travail spécifique requiert des compétences significatives. En effet, à la question de savoir combien de temps ils ont mis pour maîtriser leur travail sur l’ERP, un grand nombre d’utilisateurs parle d’une année, soit une longue durée. En outre, lorsque certaines opérations doivent être encodées de façon imprévue dans le progiciel et que le travailleur qui les réalise habituellement n’est pas là, cela conduit parfois à un blocage parce qu’aucun autre travailleur ne maîtrise l’outil suffisamment pour le remplacer. Finalement, l’acquisition de nouvelles compétences et l’évolution des fonctions liées à l’implantation de l’ERP ont entraîné dans certaines entreprises des reclassifications de fonctions, preuve de la reconnaissance d’un niveau de compétence plus élevé.
La grande majorité des utilisateurs que nous avons rencontrés a fait l’effort d’acquisition des compétences nécessaires à l’utilisation de l’ERP. Cependant, certains utilisateurs théoriques de l’ERP ne l’utilisent en fait pas ou très peu. Nous avons étonnement rencontré, dans plusieurs entreprises, quelques travailleurs d’encadrement qui sont sensés utiliser l’ERP mais ne l’utilisent qu’au strict minimum. Ces comportements proviennent de causes variées : souvent d’une maîtrise trop précaire de l’ERP mais aussi du recours à un intermédiaire qui utilise l’ERP à leur place. Certains avancent qu’ils n’ont pas le temps d’acquérir les compétences nécessaires, ne voient pas l’utilité du logiciel ou sont totalement dépassés par l’outil.
A côté de la connaissance technique de l’outil ERP, trois pans de compétences sont mis en avant par les utilisateurs.
Premièrement, la nécessité d’une grande rigueur dans l’utilisation du progiciel. Comme nous l’avons déjà abordé, l’encodage unique et la pression vers une information parfaite condamnent le travailleur à une rigueur importante.
Deuxièmement, le recours à une certaine capacité d’abstraction semble indispensable pour les utilisateurs d’ERP. Celle-ci serait requise pour deux raisons. D’une part, parce que le travail sur l’ERP éloigne plus fréquemment que par le passé le travailleur de la réalité et des flux physiques. Pour comprendre son environnement, le travailleur devra transposer ses données « virtuelles » en faits réels et vice-versa. Par exemple, alors qu’il manipulait des stocks physiques, désormais, l’opérateur travaille exclusivement avec des stocks virtuels ou des données concernant les stocks. D’autre part, afin d’interpréter adéquatement les données dont il dispose, il semble fort utile, pour l’utilisateur du progiciel, de comprendre comment le système abstrait qu’est l’ERP fonctionne : il faut « sentir le système, comprendre sa philosophie ».
Troisièmement, le caractère intégré des ERP et l’interaction accrue de ses utilisateurs requiert du travailleur une meilleure connaissance de l’entreprise : « il faut désormais connaître plus que son métier ».
La formation à l’ERP
Le passage à un ERP requiert de ses nouveaux utilisateurs l’acquisition de compétences spécifiques. Ceci est confirmé par le besoin de formation important exprimé par les utilisateurs. La plupart des acteurs rencontrés et concernés par l’ERP, mettent d’ailleurs en avant l’importance de la formation dès l’implantation d’un ERP dans une organisation.
Dans la pratique et de façon assez étonnante très peu des utilisateurs rencontrés sont satisfaits de la formation qu’ils ont reçue. Sauf exception, la formation de base a été trop souvent inexistante ou lapidaire. Dans toutes les entreprises, mais à des degrés divers, un nombre important d’utilisateurs a seulement reçu une formation introductive, voire aucune formation du tout. C’est presque toujours le cas de nouveaux arrivés ou des travailleurs qui changent de fonction. En fait, la formation sur le tas est la règle générale et la formation organisée (autre qu’introductive), l’exception. Un nombre réduit de travailleurs (appartenant principalement à l’encadrement) a souvent bénéficié d’une formation qu’ils jugent suffisante.
En outre, l’hypothèse a été émise que les formations dispensées se concentrent majoritairement sur les aspects techniques du progiciel et que le manque de formation ressenti est encore plus important dans les autres types de compétences.
Plusieurs années après la première utilisation de l’ERP, la grande majorité des travailleurs pense qu’il y a encore beaucoup de capacités du progiciel non exploitées. Très nombreux sont les utilisateurs qui disent en apprendre tous les jours. Il découle de cet état de fait une conscience généralisée de ne pas maîtriser suffisamment l’ERP. Ceci conduit souvent à des regrets, parfois à des frustrations.
Cependant, on peut supposer que les ressources des ERP qui ne sont pas utilisées sont importantes mais concernent des informations marginales (pas indispensables) qui pourraient pourtant apporter une aide certaine en terme d’efficacité du travailleur. Par exemple, pour retrouver certaines données historiques, le travail d’une journée sur support papier se fait en quelques minutes, pour autant que l’utilisateur connaisse la procédure et la localisation des informations qu’il recherche.
Des formations tardives sont souvent envisagées mais de nouveau rarement à destination de tous les utilisateurs.
L’utilisation de procédures
A côté de la connaissance des travailleurs, une connaissance papier co-existe. Il s’agit de procédures écrites des opérations à suivre pour l’utilisation de l’ERP. Elles sont rencontrées dans toutes les entreprises étudiées et sont d’usage courant. Elles existent de façon officielle mais très souvent des procédures officieuses remplacent discrètement les officielles jugées inadaptées ou trop difficiles.. Elles sont souvent spécifiques à un travailleur ou à sa fonction. Ces procédures se construisent selon un processus itératif en fonction des besoins rencontrés ou de fonctionnalités nouvellement identifiées. Certaines directions tentent de formaliser les procédures informelles afin d’en répandre les nouveaux enseignements
5.4. LA Circulation de l’information
Les ERP sont des logiciels de gestion de l’information. La profusion d’informations est reconnue comme une force de ces systèmes. Elle permet de nombreuses économies de temps et gains de productivité. Par ailleurs, la quantité d’information à traiter dans une grande entreprise est en croissance exponentielle et les EPR sont des outils destinés à gérer ces flux énormes. Grâce à cette gestion de l’information totale et en temps réel (ou quasi), le fonctionnement quotidien de l’entreprise se voit transformé. Il en est de même des gestionnaires acquièrent ainsi une connaissance bien plus précise de la situation dans laquelle l’entreprise se trouve. Il en est de même pour les maisons mères des groupes de sociétés qui ont ainsi un accès immédiat et automatique à l’information de leurs filiales. « Ils voient mieux ce qui se passe ici que nous- même » avance un travailleur en comparant sa maison mère à son site de production.
5.4.1. Le volume d’information
Les progiciels de gestion intégrée sont des sources d’information particulièrement généreuses. On constate d’ailleurs que, comme le système offre de nombreuses possibilités, les travailleurs et leurs responsables sont de plus en plus demandeurs d’informations nouvelles.
Dans ce dédale, encore faut-il cependant maîtriser suffisamment le système pour y trouver les informations que l’on recherche parmi la multitude… Certains avancent de même que parmi le flot d’informations, un grand nombre de celles-ci sont tout à fait inutiles. Certaines informations ne seraient en effet jamais utilisées mais puisqu’elles sont prévues dans les procédures, il est obligatoire de les encoder, de faire donc un travail apparemment sans usage.
5.4.2. La qualité des informations
La qualité de l’information disponible dans l’ERP dépend presque exclusivement de la qualité du travail des utilisateurs. D’une manière générale, les informations se trouvant dans le progiciel sont considérées comme correctes. Certains utilisateurs cependant n’acceptent d’utiliser que les données qu’ils maîtrisent : celles dont ils connaissent les sources et dont ils comprennent la signification exacte.
En terme de fiabilité, il apparaît que souvent, les opérateurs doivent faire confiance aux informations disponibles, ils ont de moins en moins de façon de contrôler leur exactitude. Ceci renforce dès lors la nécessité d’une information exacte. De plus, elle doit non seulement être exacte mais aussi, puisqu’on travaille en temps réel, être encodée au bon moment. Plus question d’attendre quelques heures pour l’encodage d’une pièce qui vient d’être livrée !
5.4.3. Le traitement parallèle de l’information
Les progiciels de gestion intégrée présentent la caractéristique de contenir une information unique et harmonisée pour tous ses utilisateurs d’une même entreprise. Ils ont en plus un effet d’harmonisation des documents papier utilisés à côté du système. Cependant, comme l’information n’est pas toujours facile à trouver, répartie dans de nombreux écrans de saisie différents et pas toujours présentée de façon conviviale, certains ont recréé des programmes permettant d’effectuer des opérations, principalement générer des informations nouvelles ou de synthèse, non prévues par l’ERP ou permettant de les effectuer plus vite ou plus simplement.
On arrive avec cela à des situations dans lesquelles, nombreux sont ceux qui n’utilisent pas les données directement de l’ERP mais utilisent des documents traités par d’autres sur base des données ERP. Par exemple, dans une entreprise rencontrée, des cadres de production utilisent des tableaux réalisés par la logistique qui synthétise ou présente différemment les données provenant de l’ERP.